Dans le centre pénitentiaire du XIVe arrondissement de Paris, les bénévoles de la Halte Saint-Vincent accueillent les proches des personnes détenues en attente de parloir. Un café, un sourire, une écoute au service de familles mises à l’épreuve.

Dans la courte rue Messier, il n’y a pas de numéro. « Maison d’accueil des familles », indique sobrement l’une des deux portes encadrées par la muraille de pierres ocre de la Santé, la célèbre prison au cœur du XIVe arrondissement de Paris. C’est par ce sas que doivent passer tous ceux qui viennent voir un proche écroué. Dans le hall, sur la droite, un large guichet de verre. Une jeune surveillante enregistre les arrivées pour les parloirs du matin. Quelques pas et le visiteur se trouve dans une salle lumineuse au plafond décoré de guirlandes de papier colorées. Des tables, des chaises, un coin de jeux et des bacs de livres pour les enfants, leurs dessins scotchés aux murs.
Thermos de boissons chaudes, jus de fruits, biscuits ont été disposés sur une table par le prêtre Francis Corbière, l’un des deux bénévoles de la Halte Saint-Vincent présents ce matin. À ses côtés, Évelyne de Larquier, présidente de cette association membre de la Fédération des Équipes Saint-Vincent (qui en regroupe 64 en France).
HUMILITÉ, SIMPLICITÉ ET CHARITÉ
En 1998, quand le directeur du centre pénitentiaire a voulu créer un lieu accueil pour les familles en attente de parloir, il s’est adressé directement aux Équipes Saint-Vincent. En effet, une équipe était déjà investie de cette mission dans un espace similaire à Nanterre. À l’époque, devant la prison parisienne, les proches des personnes détenues faisaient la queue dans la rue, sous le regard des passants. Trois mois après son ouverture, le succès était évident : plus de 2 000 personnes avaient trouvé un abri et de l’attention dans le module préfabriqué posé sur le trottoir. Le provisoire a duré jusqu’en 2014, début de la réhabilitation de la Santé, qui se sont terminés en 2019. Aujourd’hui, les proches des personnes détenues se préparent au parloir dans un local avenant et bénéficient de l’attention discrète des 32 bénévoles formés à l’écoute active et rompus aux rouages du monde carcéral. « Deux ou trois équipiers assurent une présence du mardi au samedi, dans l’esprit de Saint-Vincent, avec humilité, simplicité et charité. Et sans jugement », précise Évelyne de Larquier, diplomate, retraitée du ministère des Affaires étrangères.
PRÉCIEUSES MINUTES
Aide-soignante, la trentaine, elle est arrivée la première ce mardi. Après sa nuit à l’hôpital, elle vient voir son compagnon incarcéré depuis plusieurs mois. À peine le temps de prendre des nouvelles de Francis Corbière, elle est déjà en route pour le parloir de 8h30. Elle prend l’air déterminé de celle qui va remonter le moral de son homme pendant 45 précieuses minutes. Assise à une table, une dame pleure en silence, une bible ouverte devant elle. Évelyne s’approche doucement. Son fils refuse de la voir ; on appelle cela un « parloir fantôme ». On a mis toutes ses forces dans une visite, et celui qu’on aime ne vient pas. « Les familles arrivent stressées, angoissées, sous le choc ou bien usées par des mois de patience, confie Évelyne de Larquier. Certains visages sont si fermés qu’il est impossible de capter un regard. Puis on s’approche une fois, deux fois. On échange un sourire : c’est énorme, un sourire. Notre rôle est d’alléger ce moment si difficile de l’attente du parloir. »
À quelques pas, une jeune femme a étalé le linge qu’elle a apporté pour son petit frère incarcéré depuis 10 jours. La surveillante pointe avec elle la liste précise des vêtements autorisés. Ils sont ensuite rangés dans un sac plastique aux dimensions réglementaires. Le mardi, c’est le jour des nouveaux, ceux qui ont appris l’incarcération d’un proche pendant le week-end et apportent le premier sac de linge sans avoir encore obtenu un permis de visite. Il y a toujours un ou deux sacs prévus pour dépanner. Ici, la moindre négligence peut devenir un drame, entraîner le refus du sac de linge tout entier ou l’annulation d’un parloir.

Avec 1230 personnes détenues, uniquement des hommes, pour une capacité théorique de 707 places, l’administration pénitentiaire ne laisse rien au hasard, ne tolère aucun retard. Le mercredi et le samedi, les jours de visite les plus chargés, plus d’une centaine de proches se succèdent dans la maison d’accueil. Ils sont environ 2700 par mois, 35 200 par an. Plus des deux tiers des personnes accueillies sont des femmes.
ÉCOUTER, EXPLIQUER, ORIENTER
L’administration pénitentiaire et la Halte Saint-Vincent ont signé une convention explicitant leurs missions. « Les bénévoles à l’accueil contribuent au maintien des liens familiaux, essentiels pour que les personnes détenues aient une chance de sortir de la délinquance, souligne Isabelle Gomez, directrice adjointe de Paris-La Santé. Tout est exacerbé avant, pendant et après les visites : les sentiments amoureux, les frustrations, les disputes aussi. » Les bénévoles sont là pour écouter, expliquer, orienter. Et souvent absorber la colère et l’incompréhension face aux exigences administratives, sans prendre parti. Sans jamais dire « Je comprends », sans donner de conseil.
Deux fois par trimestre, une réunion d’équipe avec l’aumônier de la Halte Saint-Vincent permet les retours d’expérience, soutenus par la prière et un partage d’évangile. « La prison est un monde rude. Les personnes détenues font parfois pression sur leurs proches pour obtenir des objets interdits, souligne Évelyne de Larquier. Il faut savoir garder la juste distance, pratiquer l’empathie sans affects. »
Il est midi à la maison des familles. Les proches inscrits au dernier parloir du matin sont de retour et récupèrent leurs affaires dans leurs casiers. Un petit coup de main, une parole de réconfort, et les bénévoles vont prendre une brève pause. D’ici à une heure, les familles inscrites aux parloirs de l’après-midi se présenteront, et il faudra être disponible pour alléger les cœurs lourds.
Texte : DOMINIQUE FONLUPT
Photos : LÉA CRESPI pour LA VIE





